Les débuts du Protestantisme, autant religieux que social
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fichier : 03 - Les crépuscules des dogmes
En 1419, un peuple Révolté va s'organiser militairement pour tenir tête 17 ans durant aux armées européennes
coalisées : c’est la Révolution hussite.
La Bohème du XIVè siècle, à peu près la République Tchèque d'aujourd'hui, est devenue très riche en un laps de temps relativement court grâce aux mines d'argent. En particulier celles de
Kuttenberg, ouvertes en 1237, donnaient un résultat annuel de 100 000 Mark, un Mark équivaut à une demi livre d'argent. Essentiellement ce sont le roi et l'église catholique qui en ont profité,
et le pape par des contributions de l'église. Les membres des corporations des villes minières devenaient également très riches et se sont installé à Prague, laissant travailler d'autres à leur
compte. Prague s'est ainsi littéralement doré et c'est ici que fut fondée en 1348 la première université de l'empire allemand (attention : il ne faut pas confondre, l'empire allemand comprenait
alors aussi la Suisse, l'Italie du Nord, les Pays-Bas, la Belgique, l'Autriche etc. ; les nations, telles que nous les connaissons aujourd'hui n'existaient pas encore). Sur la base des fortunes
dégagées des mines d'argent se développaient le commerce et la production des biens d'utilisation courante, mais aussi des produits de luxe.
Dans un état féodal, ce développement devait forcément engendrer des conflits entre marchands et artisans d'un côté et la noblesse privilégiée de l'autre, entre les paysans qui voulaient
s'affranchir du servage et des propriétaires fonciers, puis entre les nobles et le Peuple face à l'église catholique qui les exploitait tous. Toutes les contradictions s'aggravèrent suite à une
inflation rapide dont bénéficiaient surtout les riches bourgeois des villes, tandis que les paysans et les nobles sans grande fortune en faisaient les frais. Ces contradictions sont en partie
masquées par un conflit national. Les rois Ottokar II et Charles I avaient appelé beaucoup de paysans, d'artisans, d'artistes et de mineurs allemands. A Kuttenberg, Deutschbrod et Iglau il n'y
avait pratiquement que des Allemands. L'université de Prague et les hauts rangs de l'église étaient entre leurs mains. Pour les tchèques, ils apparaissaient soit comme des exploiteurs, soit comme
des concurrents. Inversement, les allemands avaient un fort intérêt à conserver le statu quo.
Les choses commencent à bouger sous l'influence des thèses de John Wyclif, que Jérôme de Prague, né vers
1365, avait apporté d'Angleterre vers 1400. Mais c'est surtout Jan Hus (1369-1415, né en Bohême méridionale, étudiant pauvre à l'université de Prague, il est ordonné prêtre en 1400 puis devient
confesseur de la reine de Bohême et doyen de la faculté de théologie de Prague), qui exprimait le mécontentement des Tchèques en s'appuyant justement sur les théories de John Wyclif. La réaction
de l'église ne se fit pas attendre : elle condamna 45 enseignements de Wyclif comme hérésie. Mais la dispute continuait et finalement le roi Vaclav fut obligé d'intervenir. Il décréta en 1409 que
les tchèques auraient désormais trois voies et les allemands qu'une seule (avant c'était l'inverse). Là-dessus la plupart des professeurs et des étudiants quittent Prague pour s'installer à
Leipzig. Par le départ des allemands, la position de Hus était renforcée, et sa lutte contre l'église catholique plus sévère. Lorsque en 1412 le pape fût à court d'argent il décida de lancer la
vente des indulgences (une sorte d'emprunt céleste sur des péchés futurs commis dans ce monde-bas, autrement dit des bout de papier sans aucune valeur) c'était le déclenchement de violents heurts
entre Hussites tchèques et catholiques allemands à Prague. A nouveau le roi Vaclav était contraint d'intervenir : il expulsa de Prague Hus, mais aussi quatre théologiens catholiques.
En 1414 se réunit à Constance un concile qui avait deux
objectifs : élire un nouveau pape (car il y en avait trois) et débattre du problème de l'hérésie tchèque. Il y avait le risque d'une dissociation du royaume de Bohème, de l'église catholique et
de l'empire allemand. L'empereur Sigismund, frère de Vaclav et éventuellement son héritier, devait à juste titre se faire quelques soucis. Il obtint que Hus fut convoqué à Constance, sous la
garantie d'un sauf-conduit. Hus accepta ; confiant de la justesse de sa doctrine, à savoir : la nécessité d'une vie modeste de quelque représentant de l'église que ce soit et la mise en cause de
la légalité de quelque seigneur que ce soit qui commet un péché mortel.
Le pape Jean XXIII, qui craint sa destitution, quitte le concile dans l'espoir que celui-ci ne pourra pas continuer. Or, le concile constate d'abord qu'il s'est réuni en règle, puis qu'il détient
son pouvoir de dieu. Ainsi il place son autorité au-dessus du pape.
Après avoir destitué les trois papes, les représentants des différents pays (on vote par pays), les évêques et l'empereur Sigismund débattent de la réforme de l'église. Leur intérêt principal est
de diminuer le pouvoir papal ainsi que les versements à Rome et de renforcer le contrôle des autorités nationales. En même temps ils veulent limiter la réforme, car les effets des thèses de
Wyclif en Angleterre (les Lollards) sont connus.
Hus est invité à présenter sa doctrine au début du concile quand le pouvoir des anciens papes, en particulier
de Jean XXIII, n'est pas encore brisé. Malgré un sauf-conduit, délivré par Sigismund, il est arrêté et mis au cachot pour le forcer à révoquer ses théories considérées comme hérésie. En vain. Son
procès commence en même temps que le règlement de compte avec Jean XXIII. Bien que Hus se défend bien (il demande une réfutation de ses thèses par la bible), le concile n'entend pas céder un pas
ni à droite (les trois papes) ni à gauche. Il déclare les 45 thèses de Wyclif comme hérétique. Puis il tente de prouver que Hus reprend ces thèses hérétiques dans son livre « De Ecclesia ». En
conclusion Hus est déclaré hérétique et expulsé de l'église catholique (on lui coupe les cheveux) et livré à l'autorité civile. La peine habituelle pour hérésie étant le bûcher, Hus est brûlé le
même jour, le 6 juillet 1415. Aussi soucieux de justice sociale que de morale religieuse, il était en même temps un patriote et un réformateur de la langue littéraire tchèque.
En avril 1415 Jérôme de Prague va à Constance pour venir en aide à Hus. Voyant le sort de Hus, qui était déjà emprisonné, il prend la fuite. Malgré un sauf-conduit offert par le concile, il ne
vient pas. Il est arrêté en Bavière et ramené à Constance. Sous la torture il abjure en septembre 1415, mais il n'est pas relâché pour autant. On lui fait finalement le procès le 23 mai 1416 où
il défend les thèses de Wyclif et de Hus. Déclaré hérétique il meurt le 30 mai 1416 sur le bûcher.
Mais au lieu d'éteindre le mouvement hussite on l'avait rallumé. Les artisans et les ouvriers de Bohême,
devinrent alors Rebelles au pape, au roi et à l’empereur après que le bûcher eut consumé Jean Hus. De plus en plus souvent il y eut des Révoltes un peu partout en Bohème. Le mouvement hussite
assuma un caractère Révolutionnaire dès que la nouvelle de la mort de Hus le 6 juillet 1415 atteignit Prague. Les chevaliers et nobles de Bohême, qui était en faveur de la réforme de l’église
envoyèrent au concile de Constance le 2 septembre 1415 une protestation condamnant l’exécution de Jan Hus avec les mots les plus durs. L’attitude de l'empereur Sigismond, qui envoya des lettres
de menaces en Bohême déclarant qu’il noierait bientôt tous les Wycliffites et Hussites, rendit furieux le Peuple. Les troubles éclatèrent dans diverses parts de Bohême.
Le mouvement qui était en train de prendre forme fut appelé d'après son symbole, le calice, les Calixtins. Le calice était devenu le privilège des prêtres, le pain pour les autres. Les Calixtins
voulaient la Liberté de choisir entre cette nouvelle forme et l'ancienne (calice et pain pour tout le monde). Bref, un symbole comme un autre, qui a surtout servi à reconnaître les amis et à se
regrouper.
On peut nettement distinguer deux partis dans le mouvement Révolutionnaire : d'un côté les modérés, les Utraquistes (utra, Egal, car ils voulaient l'équivalence des deux formes de communion), de
l'autre, l'aile radical, les Taborites (d'après la ville de Tabor qu'ils venaient de fonder). Ces radicaux hussites prônent la communauté des biens, l'Egalité absolue et le sacerdoce
universel.
Les partisans des Calixtins étaient essentiellement les nobles qui avaient récupéré les terres de l'église et qui étaient donc très fortement liés au mouvement hussite, puis les riches bourgeois
qui s'étaient également enrichis au dépens de l'église et qui allaient plus tard s'enrichir du butin de la guerre.
A l'opposé, les paysans et les artisans, qui ne voulaient pas simplement échanger un seigneur par un autre mais la Liberté entière. Ils étaient fermement partisans des Taborites, et par
conséquent les Taborites représentaient la grande majorité et de loin. « En ces temps il y aura sur terre ni roi ni seigneur ; ni sujet, et tous les redevances et impôts seront abolis, aucun
n'obligera un autre à faire quelque chose car tous seront Egaux, frères et sœurs. Comme il n’y pas de ‘à moi’ ni ‘à toi’, puisque tout est à tous en commun, ainsi il en sera partout et celui qui
aura une propriété particulière commettra un péché mortel ».
Les gens en Moravie quittèrent les centres urbains, se réapproprièrent les terres, mirent tout en commun. Les Taborites et Waldensiens formeront les plus radicaux. Les nouvelles de ces
communautés se repartiront à travers l'Europe ; des pèlerins viennent de partout. Certains resteront. Les tisserands radicaux de Flandre, appeler les Pikarti, rejetteront l'exploitation et la
répression du travail déshumanisant, comme la fabrication de draps. Ils seront aussi appeler des Adamites, en référence à l'état de nature d'Adam. Ils mettront en œuvre des campagnes importantes
de redistribution et d’Egalitarisation.
La supériorité militaire et technique d'une armée de volontaires élisant leurs chefs, Jan Zizka puis Prokop le Chauve, dans le cadre d'une idéologie Egalitariste voire communiste, est le
précédent immédiat du protestantisme européen, l'exemple que tous les chefs protestants ont médité, la crainte que nourrissent toutes les chancelleries et évêchés depuis ce temps.
Contrairement à son frère Vaclav qui toléra voire soutint le mouvement hussite, Sigismond entreprit de le
briser. Le roi Vaclav essayait de naviguer entre les fronts jusqu'à ce que son frère Sigismund le menace d'une invasion pour rétablir l'ordre. Mais lorsque Vaclav rappelle finalement les
théologiens catholiques qu'il avait expulsé auparavant, c'est la Révolte à Prague. Le 30 juillet 1419 la ville s'est Insurgée sous la direction d'un personnage remarquable : Jan Zizka
(1360-1424). C'est à cette occasion qu'il y eut la première défenestration : on jeta 7 membres du conseil de la ville de Prague par la fenêtre pour les faire tomber sur des piques placées au bon
endroit. Lorsque Vaclav apprit la nouvelle il mourut sur le coup. Désormais la Bohème était une république.
Les nobles, qui étaient favorable aux Hussites mais néanmoins supportaient la régente, promirent à Sigismund d’agir comme médiateurs Les Utraquistes de Prague tentèrent en secret des pourparlers
avec l'empereur, mais en vain à cause de l'attitude dure de Sigismund. Le pape Martin V va même plus loin lorsqu'il appelle toute la chrétienté à la croisade contre les Hussites. Cette première
croisade, qui eut lieu en 1420 se termine par une défaite des troupes catholiques, battues par l'armée paysanne de Zizka. D'autres « croisades » suivaient, à chaque fois plus désastreuses pour
l'empire. Si la guerre au début eut lieu en Bohème, elle est maintenant portée en Silésie, en Prusse Orientale et jusqu'à Gdansk à la mer Baltique, puis en Hesse et en Autriche.
Jan Zizka meurt en 1424, mais son successeur, André Prokop (1380-1434), également un Taborite, continue la Lutte. La quatrième « croisade » en 1427 se termine prématurément à Mies, à l'entente
des cris de guerre des Hussites, de même que la cinquième en 1431 à Taus. Il n'y avait plus personne qui osait affronter les Hussites.
Le caractère fondamentalement démocratique des hussites et la suite ininterrompue de leurs victoires rendaient les princes des pays environnants nerveux car ils craignaient la contagion de ces
idées à leurs sujets.
Dans cette situation, l'empereur ne voyait plus qu'une seule issue : diviser les Hussites. C'est pourquoi il entama des pourparlers pour monter les Utraquistes contre les Taborites, c'est à dire
les nobles et les riches bourgeois contre les paysans et les artisans. L'empereur et le pape leur garantissaient « généreusement » le butin, les terres et la fortune de l'église. La noblesse
tchèque n'avait que très peu participé à la guerre, parce qu'elle avait, déjà au début de la lutte, récupéré le butin principal. De même les bourgeois des villes, qui eux avaient certes profité
de la guerre, mais cherchaient maintenant une jouissance tranquille de leurs richesses. Si cela pouvait être garanti par l'empereur et le pape lui-même, alors c'était parfait. Ils n'en
demandaient pas plus. En 1433 on se mit d'accord et la noblesse commença aussitôt à recruter une armée pour combattre les Taborites. La bataille eut lieu le 30 Mai 1434 à Lipan : 25 000
mercenaires de l'armée de la noblesse se battaient contre 18 000 Taborites. La bataille fut très longue car les deux camps disposaient de forces comparables. Les nobles ont tout de même remporté
la victoire mais seulement à cause de la trahison de la cavalerie taborite, qui quittait le champ de bataille. Sur les 18 000 Taborites, 13 000 ont été tués. Le pouvoir des Taborites était brisé,
mais pas anéanti.
La Révolution hussite de 1415 offre à la doctrine vaudoise une première occasion de développement et d'approfondissement. Un siècle plus tard, Luther soulève à son tour le problème de la réforme intérieure de l'église. Le monde vaudois n'hésite pas alors à accorder sa pleine adhésion à la Lutte que mène Luther.