Du travail ... et donc de l'argent
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• E : Bien sûr, depuis le début du XXè siècle, on a cherché à faire baisser le nombre d’heures travaillées.
Mais qu’est ce qui a fait qu’Utopia aille aussi loin ?
• M : C’est l’accumulation d’un ras-le-bol général envers la pression de la rentabilité et de la productivité, et les frustrations engendrées par la loi sur les 35 heures. Si les patrons avaient
voulus décrédibilisés la réduction du temps de travail, ils n’auraient pas mieux fait qu’avec l’usine à gaz socialiste.
• E : Je me rappelle effectivement que les ouvriers et les cadres étaient pressés comme des olives pour huiler la machine à dividende actionnarial sans avoir de contrepartie si ce n’est la
préservation de leur emploi.
• M : Et en plus, c’était à eux de payer la « bancalité » de la loi des 35 heures. Les patrons étaient mécontents de cette loi (et il faut dire à leur décharge que c’était vraiment mal organisé
et qui plus est rigide comme une merde dure), donc ils décidèrent de jouer avec la règle : le temps est réduit hebdomadairement, qu’à cela ne tienne, nous allons annualiser les horaires pour les
flexibiliser et en plus on vous fuck en gelant les salaires.
• E : Du coup il y avait des périodes de grand coup de bourre à raison de 12 heures par jour, et des périodes de chômage.
• M : Oui, sauf que lorsque les petites gens ont vu, à force, comment elles étaient jetées comme des mouchoirs après s’être données corps et âme pour « sauver » l’entreprise, soi-disant en péril
grave du fait de la concurrence et des conditions esclavagistes des autres pays, la grogne fut sévère et elle ne s’achèterait pas à coup de quelques bonbons sucrés (ils prenaient déjà des bonbons
anxiolytiques et anti-dépresseurs pour supporter le rythme et le stress du boulot).
• E : C’est toujours le même chantage : soit vous acceptez des modes de travail pénibles et peu valorisés, soit … il y a plein de monde, ici ou ailleurs, qui attend pour travailler à votre
place.
• M : Exactement, depuis 1936 et la semaine de 40 heures et 2 semaines de congés payés, les patrons nous ont toujours fait croire que tout progrès social engendrait de facto des catastrophes
économiques (alors que ce sont les patrons anglais qui instaurèrent au début du XXè siècle la réduction du temps de travail, car les machines humaines étaient plus efficaces après un bref repos,
plus que bien mérité). Alors qu’il n’en est jamais rien, ni la France ni la Terre ne se sont arrêtées de tourner ! Du coup, la première mesure d’Utopia fut que tout le monde travaille 30 heures,
pas une de plus, et de fait il fallait que plus de gens travaillent pour assurer la continuité de production et de service.
• E : Vous avez concrètement réalisé l’objectif final de la loi sur les 35 heures : tout le monde bosse moins, mais du coup plus de monde bosse !?
• M : Exactement. Le seul problème, mais de taille, qui avait bloqué l’application concrète de la loi, c’était que du travail, ce n’est pas ce qu’il manquait, c’est « juste » qu’il n’y avait pas
l’argent pour payer ces prestations (ou plutôt qu’on ne voulait pas réduire les marges bénéficiaires ou réorganiser pour plus d’efficacité). Utopia ayant rognée sur les budgets de l’état (et
surtout l’armée, deuxième budget, juste après celui de l’Education Nationale, quoique sous la droite il passait régulièrement devant, qui se gavait aux frais de la princesse populaire), l’argent
pu être mieux redistribué. On relança également l’économie, déjà en baissant les taxes sur le travail (mais en augmentant en contrepartie celles sur le travail mort, le capital), mais surtout en
augmentant massivement le SMIC (Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance : donc comme son nom l’indique, pour que le pouvoir d’achat croît, il fallait bien le rehausser), le faisant
passer à 1 500 € nets par mois.
• E : C’est un truc que j’ai jamais compris ça : c’est dans l’intérêt du capitalisme qu’il y ait plus de gens qui puissent consommer. Donc autant monter un peu les salaires, comme ça il y aura
plus d’acheteurs et donc au final plus de richesses produites.
• M : Exactement, mais c’est le même type de problème qui s’est posé sur les retraites, où on voulait remettre les vieux au travail (comme si ils n’avaient pas déjà assez trimé sur 40 ans). En
2003, concernant l’histoire des retraites qui coûtaient trop chères, donc il fallait bosser plus et plus longtemps pour avoir un plus gros capital retraite, c’était un énorme mensonge par
omission. Ce que les journalistes n’ont pas dit (« normal », ils font leur métier de chiens de garde en [dés] ou sous-informant) c’est que la richesse dégagée (profit pour les actionnaires, après
impôts et coûts fixes) s’est envolée depuis les Trente Glorieuses (1946-1973) par rapport aux salaires (donc aux cotisations retraites). Toute la valeur ajoutée produit en plus par le biais de la
robotisation et de l’amélioration des rendements humains (sous-traitance, organisations, management, ressources humaines et autres apports des sciences « sociales ») servit à l’augmentation de la
masse du capital (investissements futurs pour plus, toujours plus de retours financiers, de rentes) et à l’accroissement du magot des dividendes pour les actionnaires (idem pour les petits
patrons), et non à l’augmentation des salaires.
• E : C’est vrai que l’on disait toujours que les Français étaient des feignasses, qu’il n’y avait qu’eux pour penser à travailler moins alors que la concurrence internationale était féroce ;
mais on omettait souvent aussi de dire que la France avait une des productivités les plus élevées d’Europe.
• M : Très juste, ce fut d’ailleurs un élément déclenchant dans le processus intellectuel. Peu avant le Grand Soir, quelques pays (tels l’Allemagne) qui avaient également baissé leur temps de
travail, plièrent sous la pression des multinationales : soit les usines repassaient à 40 heures par semaine sans augmentation de salaire, soit elles seraient déménagée vers des pays où on laisse
exploiter les pauvres par les riches pour le bien de la sacro-sainte croissance (et ces pays candidats n’attendaient que ça à l’Est, ils en avaient grand besoin d’ailleurs). Nos politiques
fustigeaient (poussés en cela par le Medef, la secte des grands patrons) notre attitude anti-croissance, en nous assénant l’exemple américain où l’on travaille 50 heures par semaine. Certes les
USA sont un pays riche, mais, comme souvent, cela se répartit par une classe aisée très aisée mais peu nombreuse, une classe moyenne médiane en tous aspects, une surreprésentée basse classe qui
vivote et la multitude des personnes qui survivent, dans ce soi-disant « rêve américain ».
• E : C’est clair et net que les States étaient d’énormes producteurs de richesse, mais pas si nombreux étaient ceux qui en savouraient les fruits.
• M : C’était exactement notre contre-modèle, l’ « exemple » à ne surtout pas suivre, l’épouvantail à Progrès et encore plus à Emancipation. Nous, ce que nous voulions, c’était sortir du cercle
vicieux qui veut que la (sur) consommation engendre la croissance et donc l’emploi. Sauf que le passé nous avait montré depuis 1929 que ce n’était pas aussi simpliste. Car lorsque tout le monde
est équipé de tel produit, que les marchés extérieurs ne peuvent (ou ne veulent) écouler notre stock, cette surproduction (ou suroffre) ne correspondant à aucune demande (on ne crée jamais de
besoins, à la limite on les révèle) doit être écoulée à tout prix. C’est bien ce que l’on vit dans les dernières années de l’autre système, le dogmatique : certains marchés étant saturés ou
monopolisés par des puissants, nombres de petites entreprises durent limiter la production, souvent en faisant de la haute qualité (facteur de forte valeur ajoutée et donc de marge élevées) ou
alors en diminuant drastiquement leur masse salariale, celle-ci étant surtaxée, en automatisant ou « rationalisant ».
• E : De toute façon des pays comme la Chine (manufacture du monde), les Indes (sous-traitance de services), le Brésil (grenier à grains), bref les zones à forte croissance de développement
(Amériques du Sud et Asie), montaient en puissance sur les marchés internationaux.
• M : Tout à fait, les vieux pays européens se désindustrialisaient massivement (exception notable faite des productions à forte valeur ajoutée où nous avions encore un savoir-faire spécifique et
qualitatif), et même les services se délocalisaient vers nos anciennes colonies (qui maîtrisent nos langues aussi bien que nous et qui se sont éduqués suivant nos systèmes et nous ont rattrapés).
En somme, nous étions déjà à la veille du Grand Soir dans une situation de rupture économique. Les nouvelles technologies aidant, toute la structure de production et de distribution s’en vit
profondément modifiée. Les clients pouvaient ainsi passer commande directement auprès des producteurs. Cela eu pour effet de montrer l’accumulation d’intermédiaires inutiles (comme en politique)
entre celui qui produit (même des lois) et l’utilisateur final.
• E : Cool : vous avez alors enfin court-circuités ces nuisibles de distributeurs qui ne font qu’augmenter au maximum leurs marges de vente au détriment du prix d’achat des producteurs ?
• M : Ouaip Dame ! Déjà aux premiers jours d’Utopia, il fut décidé que tout se traiterait directement avec ceux qui produisent (entreprises, coopératives, indépendants), les distributeurs étant
considérés comme des métiers non-prioritaires. Ainsi, les producteurs virent enfin leur niveau de vie augmenter, tirant véritablement profits de leurs terres ou de leurs coopératives. Auparavant,
ils déversaient des légumes par tonne devant les représentations de l’état, alors que pleins de gens crevaient de faim, pensant naïvement que ce (très cher) état (censé protéger les Citoyens et
encore plus les faibles face aux forts) allait les aider à se battre contre les méchantes centrales d’achat qui négociaient comme des hyènes pour avoir des produits moins chers qu’ils ne coûtent
à produire, afin de pouvoir faire une marge énorme auprès des clients (qui continuaient de penser que les légumes étaient vraiment trop chers, mais qu’au-delà des supermarchés il n’y avait point
de salut – du moins il ne restait presque plus que ce type de « boutique »).
• E : Et vous avez fait quoi des distributeurs ?
• M : On a gardé ceux qui avaient une réelle utilité de conseil, ceux qui faisaient une simple interface de distribution sur tout le pays entre le producteur et le consommateur (les grossistes
étant fusionnés avec les vendeurs au détail) en les engageant à Respecter des prix minimaux d’achat pour les producteurs et maximaux de vente pour les clients.
• E : Ça c’est bien, au moins les producteurs couvrent leurs frais et vivent un peu mieux, et les clients ne payent pas la différence puisque c’est la juste réparation du vol organisé depuis une
éternité par tous ces distributeurs en col blanc qui pressaient les prix en amont pour mieux les dilater en aval auprès des clients.
• M : Oui, c’était la fin du double bénéfice. Ensuite, les personnes rendues inactives par la fermeture ou la réorganisation des distributeurs, furent employées auprès des producteurs pratiquant
la vente directe (en explosion depuis la chute des distributeurs et des contrats d’exclusivité) pour les accompagner dans la logistique d’acheminement des produits, organisèrent et participèrent
à des Cahiers de Doléances auprès des consommateurs pour connaître les besoins réels et non marketing / mercatiques afin de redéfinir les structures de production et de nouveaux systèmes de
distribution et de logistique. Les autres mirent leurs compétences au service de coopératives, de secteurs prioritaires ou se consacrèrent à des projets de développement.
• E : Du coup, il y avait moins de distributeurs (en tout cas plus de nuisibles intermédiaires ni de centrales d’achat toutes puissantes) et plus de personnes disponibles pour se rendre vraiment
utiles ?
• M : Et oui, nombres de distributeurs et de centrales furent remplacés par des marchés genre Rungis (en plus petit bien sûr) pour les Régions et Communautés de Communes, les Communes se servant
directement auprès de ces points de ravitaillement. Ensuite, les besoins impératifs manquant de ressources et de mains d’œuvre furent pourvus, selon les envies et capacités de chaque personne
rendue inactive.
• E : Et les anciens chômeurs, ceux d’avant Grand Soir, dans tout ça ?
• M : Bien naturellement, ils furent les premiers (et prioritaires d’ailleurs) à retrouver une activité. En effet, ils se mobilisèrent en masse le lendemain du Grand Soir car, l’oisiveté étant
mère de tous les vices, ces Citoyens (auparavant de seconde zone) s’ « empressèrent » de Participer à ce grand projet où ils pourraient exprimer leurs talents, sans avoir de chef à la con qui les
jugent sans arrêt sur leur motivation, celle-ci étant bien réelle car portée par un exceptionnel sentiment d’appartenance à un Grand Renouveau. Nombre de chômeurs se laissaient vivre en
bénéficiant des allocations, préférant se serrer la ceinture en consommant moins (mais mieux) plutôt que de retourner dans la dure réalité du monde économique, sans foi ni loi si ce ne sont
celles des propriétaires de capitaux. Avec le Grand Soir ils retrouvaient leur dignité (le travail ne leur étant plus refusé) et ainsi donc leur ardeur pour montrer qu’ils avaient deux bras et un
cerveau comme tout le monde. Ils entendaient bien prouver qu’ils savaient s’en servir pour le bien de cette nouvelle civilisation. Auparavant, ils étaient recalés car trop vieux, pas assez
instruits, peu expérimentés ; aujourd’hui ils se devaient (et le désiraient profondément) de Participer, à raison de leurs capacités et compétences, sans pour autant négliger leurs envies.
• E : Et vous les avez « occupés » comment ?
• M : En fait, ça faisait une éternité qu’il y avait pas mal de prestations qui n’étaient pas effectuées, car elles coûtaient trop chères, n’étaient pas prioritaires (dans le sens jugées
importantes par les grands pontes), ou il n’y avait pas assez d’effectif pour s’en occuper correctement par rapport à l’ampleur de la tâche. Il en allait ainsi de l’assistance sociale (moins
d’acteurs sociaux que de flics au centimètre carré), de la santé (manque de personnel soignant par monopolisation administrative), de l’éducation (classe surchargée et trop peu d’activités
Emancipatrices), de l’environnement (dépollution et entretien des espaces verts et naturels), de l’aménagement du territoire (routes, connexions internet, transports, …), ou encore de la culture
(institutionnalisée et chère). Donc on utilisa la main d’œuvre des chômeurs et des inactifs pour développer tous ces pôles pourtant importants mais laissés en friche faute d’argent, mais surtout
de réelle volonté politico-économique.
• E : Vous avez fait du social en somme !
• M : Exactement, mais du social utile. Alors que l’état jetait négligemment chaque mois quelques sous aux chômeurs (façon d’acheter la Paix sociale à défaut de fournir un vrai travail – sachant
qu’il dépensait des sommes folles pour co-financer le travail, mais que les entreprises utilisaient ces aides sans créer de postes), après le Grand Soir on remit en route la vieille idée des
Ateliers Nationaux et Communaux, initiés en 1848. Le but était non seulement de subvenir aux besoins des chômeurs et autres inactifs du fait de leurs métiers non-prioritaires, mais aussi (et
surtout) de faire en sorte qu’ils se sentent et qu’ils se rendent utiles. Ainsi, nombres d’entres eux furent délégués à des projets de Développement, d’Aménagement, d’Emancipation Sociale, bref :
de mieux vivre pour l’ensemble de la population. Ils épaulèrent également des porteurs de projet qui n’avaient pas suffisamment de ressources humaines pour les mener à bien.
• E : Nickel ! C’est bien vrai que trop souvent on considérait que les gens au chômage soit ne faisait pas d’efforts pour trouver un travail, soit était incapables de se rendre utiles. C’est sûr
qu’au début du chômage c’est cool, tu es Libre, tu t’organises comme tu veux et tout et tout. Mais d’une il faut bien gérer son portefeuille car les allocations ne sont pas si importantes que ça,
mais surtout, il est difficile de s’occuper sans (relativement vite) tourner en rond, et encore plus insupportable de rester inactif. Et il faut encore moins sous-estimer l’aspiration de tout
humain à s’épanouir dans des activités utiles à soi-même comme aux autres : c’est ce qu’on appelle le besoin de reconnaissance sociale (qui ne passe pas forcément par l’argent, mais sûrement par
une activité).
• M : C’est magnifiquement dit ! En complément de ça, je te dirais également qu’on a fait un énorme travail pour que l’ensemble du territoire bénéficie des bienfaits de la Révolution. Quelques
jours après le grand Soir, il fut décidé Collectivement qu’une des premières grandes missions de cette nouvelle ère était de développer les régions qui le souhaitaient, par un meilleur système de
transport, des communications aisées et rapides (haut débit et fibres optiques là où c’était possible, autres solutions ailleurs). Mais enfin et surtout, last but loin d’être least [le moindre],
on a développé le concept d’urbanité villageoise (ou de villagisation urbaine) !
• E : C’est marrant tes trucs ! Et ça consiste en quoi stp ?
• M : En fait, l'accent est fortement mis sur le développement social local (déjà expérimenté au Québec, en Catalogne et en Belgique), qui permet de renforcer les Solidarités de proximité et le
lien social. On a mis en place la culture du travail social Collectif qui s'appuie sur les ressources locales (voisinage, équipements de proximité) et s’inscrit clairement dans les pratiques
locales. On a crée des structures en fonction des besoins locaux, qu’on a mis en relation avec les attentes extérieures. Du coup, les uns avaient du travail un peu partout sur le territoire, et
les autres étaient servis à domicile, à proximité ou non, matérialisé ou non.
• E : D’accord, n’importe quel trou perdu se créait son propre marché en fait, en proposant ses services ?
• M : Oui, tout ça grâce aux places de marché virtuelles qui permettent de mettre en relation aisément l’offre et la demande, et aux nouveaux moyens (et à grande échelle) de communication et
transport ! Ce qu’on voulait à tout prix (surtout après la canicule dramatique de 2003), c’était rompre l’isolement social, qui avait de nombreux effets secondaires sur les personnes et était
bien souvent à l'origine de la dégradation du comportement des familles. L’idée était aussi (sachant les drames que cela provoquait, et ce à grande échelle), de rompre ce repli sur soi des
familles fragiles, pour lutter contre la maltraitance et les violences de toutes sortes (y compris contre soi-même). L’autre aspect fut d’agir contre un autre facteur le plus fréquemment cité
dans les débats, celui des carences éducatives des parents, qui renvoie souvent à une immaturité des parents, à une absence de repères, à un repli sur soi encore une fois.